Quand l’amour anoblit

Article : Quand l’amour anoblit
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24 mai 2016

Quand l’amour anoblit

C’était un matin d’hiver, spécialement rude cette année, à moins que le dicton « on ne se souvient pas de (la rigueur) l’hiver passé » ne soit avéré. En tout cas il faisait au plus 8°C, dans une des milliers de ruelles de la Capitale. Je passe devant le petit territoire qu’un couple de SDF, ou de « Quatr ‘mi » comme on les appelle chez nous à Madagascar, s’est aménagé, délimité par des cartons. La femme est encore affalée sous un amas de chiffons malgré la matinée assez avancée.

Sans le vouloir, j’entends la conversation entre le couple :

  • L’homme : Comment on fait alors pour ce soir ?
  • La femme : Je pense que le mieux, c’est que j’aille seule à l’invitation (en malgache, on utilise le même terme pour invitation et  fête : fanasana) ; comme ça tu pourras travailler (j’ai noté plus d’une fois qu’il nettoie les alentours  dans la ruelle en question)
  • L’homme : Oui, mais après, comment tu vas faire ? je vais te chercher là bas alors et on rentre ensemble ? Tu ne devrais pas rentrer seule, tu le sais bien…

Je n’ai pas entendu la suite, mais j’ai remarqué le ton et les termes  « affectueux » utilisés : « ialahy », par la femme ; qui est le « tu » utilisé entre hommes ou entre un couple, et  « indry » par l’homme ; qui est aussi le « tu » mais entre femmes ou aussi entre un couple. J’ai ressenti des sentiments contradictoires. J’étais d’abord gênée, j’avais l’impression de violer l’intimité de ce couple finalement pas si différent des autres. Mais je me suis aussi sentie émue, remuée même. Rares sont les femmes qui jouissent encore de ce genre d’attention de la part de leur homme, parmi les couples normaux. J’ai eu de la compassion pour ces êtres que l’on devine issus d’un milieu assez aisé, à les entendre discuter, mais devenus sans abris, au plus bas de l’échelle de la société. Je me suis sentie ô combien touchée par cette façon de communiquer.

Très intriguée, j’ai raconté la scène à quelqu’un qui connaît bien ce couple, à force de passer dans cette ruelle tous les matins quand il doit ramener son fils à l’école du quartier. Il m’a dit :« En fait, cette femme a perdu l’esprit depuis longtemps. Des fois, elle parle toute seule. Quand elle dit des choses, son « mari », ne voulant pas la contredire, fait semblant de croire à son délire et lui donne la réplique. Pourtant, son mari à l’air d’être sain d’esprit. C’est comme s’il voulait la préserver de sa folie … ».

J’aurais presque préféré  gardé ma première impression : l’image d’un couple plein de respect envers l’autre malgré la galère et la misère…  Néanmoins,  j’ai ressenti  une forme noble de l’amour que seul un couple digne de ce nom peut inspirer, et que ni la misère ni la détresse ne peut cacher.

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